• - Comment je pourrais aller à Thanis ? On n'y entre pas comme ça... soupira Rwan. Il paraît que c'est une ville forteresse avec plein de super technologies qui la rendent impénétrables.
    - Pour les personnes qui n'ont pas d'accréditation, fit remarquer Jonah.
    - Ah oui, c'est vrai qu'avec l'illustre lignée dont je suis issu, je n'aurai qu'à dire mon nom et ils m'ouvriront aussitôt la porte, ironisa-t-il amèrement.
    - Ce que je veux dire, reprit-il avec douceur, c'est qu'il suffit de s'adresser à la bonne personne, quelqu'un qui va à Thanis régulièrement en toute légalité.
    - Sauf que Kellan Assanyas est le seul à Makaroa à jouir de ce privilège.
    - Précisément, acquiesça Jonah.
     
    Rwan fixa son ami en fronçant les sourcils puis, décontenancé par son calme, ouvrit de grands yeux étonnés avant de reprendre :
     
    - Tu... Tu ne suggères tout de même pas que... que je...
    - Non, je suggère que je pourrais aller lui demander ce service. Je pense qu'il me doit bien ça...
    - Après ce qu'il ta fait ? Tu as envie de revoir ce type ? De t'abaisser à lui demander une faveur ?
    - Je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai envie de le revoir non. Même s'il ne m'a rien fait personnellement.
    - Oh non, à part te voler ta vie...
    - Rwan... soupira-t-il. Tu sais que c'est faux. Si Yzabel n'était pas partie d'elle-même, c'est moi qui l'aurais chassée. Je n'avais simplement pas prévu... qu'elle emmènerait notre fille, conclut-il d'une voix étouffée.
     
    Rwan allait répliquer quelque chose mais s'abstint finalement, devant la douleur lisible sur le visage de son ami.
    Il garda le silence et réfléchit à la situation, tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées. Au bout de quelques minutes, l'expression de son visage changea, imperceptiblement. Il leva les yeux vers son ami et déclara d'une voix assurée :
     
    - C'est moi qui irai.
    - Tu as perdu la tête ? Alors que Sven vient de s'en prendre à lui, avec ton aide ? Si tu veux mon avis Sven a sous-estimé son adversaire. Et tu t'apprêtes à commettre la même erreur.
    - Kellan n'est pas connu pour être un homme violent, ce n'est pas un criminel.
    - Ce n'est pas une raison pour le craindre moins que Sven. Il existe d'autres méthodes pour détruire quelqu'un. C'est un homme puissant, et infiniment riche.
    - C'est aussi un homme respecté dans tout le Comté. Il tient à sa réputation de bienfaiteur. Que veux-tu qu'il me fasse ? Dans le pire des cas, il refusera de m'aider.
    - Il peut aussi, voyons voir... te faire jeter en prison ?
    - Pour avoir commis quel délit ? Jouer au Bakdemak n'est pas une activité illégale à ce que je sache.
    - Oh oui c'est vrai que toute ta vie tu t'es comporté de manière irréprochable, tu n'as donc rien à craindre. Autant pour moi, persifla-t-il.
     
    Rwan ne trouva rien à répondre, il  baissa la tête, penaud. Il sentait le jugement de son ami, sa désapprobation. Ses reproches n'étaient jamais aussi virulents que ceux de Lizia, mais ils le blessaient tout autant, car l'opinion de Jonah comptait d'autant plus à ses yeux.
     
     - Mais qu'est-ce qui peut bien te faire croire que Kellan te donnerait une accréditation ? reprit Jonah.
    - Il veut sûrement se venger de Sven et je peux l'y aider. J'en sais des choses sur son compte...
    - Tu as vraiment perdu la tête ma parole... soupira-t-il. Et comment crois-tu que Sven réagira en l'apprenant, grand naïf ?
    - Peu importe, je ne serai plus là.
    - Et Lizia ? tu n'as pas peur qu'il s'en prenne à elle ?
     
    Rwan sembla sidéré par cette question.
     
    - Mais Lizia part avec moi bien-sûr !
     
     

    Chapitre 1

     
     
    Tapi dans l'ombre, observant l'intérieur de l'auberge à travers une fenêtre donnant sur une ruelle déserte, Rwan attendait patiemment que les derniers clients finissent leur repas.
    Il était arrivé à Makaroa en fin d'après-midi et il s'était rendu chez lui pour préparer un sac de voyage. Puis il avait attendu patiemment que la nuit tombe. Et depuis près d'une heure il espionnait Lizia discrètement, observant ses allées et venues, contemplant l'expression de son visage, ces mimiques qu'il connaissait par cœur, ce regard sombre et imperméable.
    Lizia avait eu une enfance comparable à la sienne, dans un contexte familial à peine différent. Ils avaient fait connaissance le jour où elle avait sauvé sa peau alors qu'il venait de se faire prendre la main dans le sac, en train d'essayer de voler la bourse d'un voyageur. Elle était arrivée comme par magie, s'était fait passer pour sa sœur ainée et avait attendri l'homme en lui racontant un honteux mensonge, impliquant de nombreux frères et sœurs plus jeunes qu'eux à nourrir. Rwan repensait toujours à cet épisode avec le sourire, car il aimait se rappeler que lorsqu'il s'agissait d'emberlificoter les gens, Lizia n'était pas en reste, n'en déplaise à la demoiselle.
    Rwan soupira de soulagement en voyant les deux derniers clients se lever de table et se diriger vers l'escalier qui menait aux chambres. Lizia débarrassa leur table et emporta son plateau dans la cuisine. Elle tressaillit en apercevant une silhouette dans l'encadrement de la porte mais se reprit aussitôt en reconnaissant son ami. Rwan savait qu'elle n'aimait pas se laisser surprendre, ni se montrer effrayée ou touchée par quoique ce soit. Pourtant derrière son masque impassible, il parvenait aisément à lire son embarras, lié à leur dernière querelle. Lizia savait qu'elle avait été dure avec son ami, pour autant il ne s'attendait pas à des excuses de sa part, tout du moins pas directement.
     
    - Ah c'est bien, tu as fait attention à ce que personne ne te voie, cette fois, se contenta-t-elle de dire.
     
    Rwan brûlait de lui répondre « excuses acceptées » mais se ravisa, ce n'était pas le moment de l'agacer inutilement. Il opta pour une autre stratégie, probablement plus efficace pour atteindre son objectif.
     
    - Tu avais raison l'autre soir, pour ce que tu m'as dit.
     
    Lizia leva un sourcil, visiblement sceptique, voire méfiante, mais le laissa continuer.
     
    - Jusqu'à hier, je pensais que ma vie était ici, à Makaroa. Et que par conséquent, je n'avais pas d'autre choix que d'obéir à Sven toute ma vie. Mais c'est faux. Ma vie je peux la continuer n'importe où. Ce n'est pas l'endroit qui compte, mais avec qui. Et du moment qu'on reste ensemble toi et moi, comme on se l'est promis, c'est la seule chose qui compte, non ?
    - Où veux-tu en venir ? demanda-t-elle d'une voix qui trahissait une légère inquiétude.
     
    Les yeux de Rwan étincelèrent aussitôt d'excitation. Et l'inquiétude de Lizia s'amplifia.
     
    - On abandonne tout Lizia, j'ai de grands projets ! Tu te souviens, on rêvait d'aller à Thanis ? Tu t'en souviens ?
    - Mais de quoi tu parles ? Rwan, ne me dis pas que tu as bu ?
     
    Il balaya sa question d'un geste de la main et reprit :
     
    - Qu'est-ce que tu dirais de refaire notre vie ? De tout recommencer ? J'ai trouvé une solution, pour gagner beaucoup d'argent, à Thanis. J'ai juste un petit détail à régler, avec Kellan Assanyas, pour nous obtenir des accréditations, et ensuite on part. On fait nos sacs, on passe chez Jonah demain pour lui dire au-revoir – cette tête de mule ne veut pas quitter se forêt pour venir avec nous – et on s'en va. On quitte tout, cette ville, Sven et ses magouilles sordides, cette vie m...
    - Tu as perdu la tête ?
    - Mais qu'est-ce que vous avez tous à me dire ça ? Lizia, réfléchis ! C'est la vie dont tu rêves ça ?? Tu n'as pas envie de...
    - C'est quoi ta solution pour gagner beaucoup d'argent ? l'interrompit-elle. Oh et puis non, tu sais quoi, je ne veux même pas savoir. Encore un de tes plans foireux, j'ai l'habitude. Mais si tu t'imagines que je vais te suivre dans cette nouvelle lubie, alors là tu te fourres le doigt dans l'œil. Ce n'est peut-être pas la vie dont j'ai toujours rêvé, certes, mais elle me convient. C'est une vie stable, dont je peux être fière. Mes rêves d'aventure ont disparu avec mon enfance, et les tiens finiront par disparaître aussi, le jour où tu accepteras enfin de devenir adulte. Mais en attendant, si le voyage te tente, ne te gêne pas pour moi.
    - Mais qu'est-ce que tu fais de la promesse ? De toujours rester ensemble ?
    - On avait dix ans bon sang, grandis un peu Rwan, par pitié !
     
    Rwan encaissa sa remarque et ne se découragea pas :
     
    - Et qui veillera sur toi si je m'en vais ?
     
    Lizia le regarda, médusée, avant d'éclater de rire.
     
    - Tu n'es même pas capable de veiller sur toi-même Rwan, tu crois vraiment que j'attends de toi que tu veilles sur moi ? Ça fait maintenant vingt ans que je le fais toute seule, je n'ai pas besoin de toi pour ça !
     
    Rwan garda le silence un moment, la déception se lisait sur son visage décomposé.
     
    - Tu sais Lizia tu n'avais pas tout à fait raison l'autre jour, quand tu disais que c'était à cause de gens comme moi si Sven pouvait continuer ses petites magouilles impunément. En fait s'il y parvient c'est essentiellement grâce à une autre catégorie de gens : ceux qui savent et qui ferment les yeux en se donnant bonne conscience. Les gens comme toi en somme.
     
    Lizia, qui veillait toujours à masquer ses émotions, ne put cette fois dissimuler sa stupeur. Sans un mot de plus, Rwan se dirigea vers la porte de l'auberge. C'était probablement la toute première fois qu'il quittait son amie en ayant eu le dernier mot. Mais étrangement, cette victoire avait un goût amer.
     
     

    Chapitre 1

     
     
    Le Château Assanyas dominait Makaroa. Il était entouré de jardins magnifiques qui offraient une vue imprenable sur le fleuve Raskaya en contre bas. Ces jardins étaient ouverts au public, conformément au souhait de Kellan Assanyas qui veillait tout particulièrement au bien-être des makaores, contrairement à son père qui ne s'en souciait guère. Kellan était apprécié dans toute la région, dont il était considéré comme le bienfaiteur : il finançait des écoles, des centres de soins, il fournissait du matériel aux paysans, et organisait plusieurs fois par an de gigantesques fêtes qui étaient célèbres bien au-delà des frontières du Comté.
    Ainsi, grâce à sa grande générosité, on lui pardonnait aisément ses deux penchants discutables : le bakdemak et les femmes.
     
    Rwan connaissait les jardins comme sa poche, en revanche il n'était jamais entré dans le château. Il s'avança dans l'allée centrale en direction de la lourde porte et, arrivé à son niveau, actionna le battant.
    Presque aussitôt une petite lucarne s'ouvrit sur le coté, et Rwan devina davantage qu'il ne vit l'homme qui s'adressa à lui.
     
    - Que désirez-vous ?
    - Bonsoir, je souhaiterais m'entretenir avec Monsieur Assanyas, j'ai des informations pour lui. Mon nom est Marwan Cyriak.
    - Et ça ne peut pas attendre demain, à une heure plus décente ?
    - Non je... je préfère me faire discret.
     
    La lucarne se referma et Rwan entendit le bruit de pas qui s'éloignent. Il s'écoula une bonne dizaine de minutes avant que la porte ne s'ouvre. Le domestique s'effaça pour laisser entrer le visiteur puis il referma la porte.
     
    - Veuillez me suivre.
     
    Rwan n'eut pas le temps de contempler la pièce dans laquelle il se trouvait car son guide disparut aussitôt sous un petit porche qui menait à un escalier en colimaçon. Il l'attendait au pied des marches qu'il désignait du doigt.
     
    - C'est par là. La porte au bout du couloir. Bonne soirée monsieur.
    - Heu merci, bredouilla-t-il.
     
    Rwan gravit la vingtaine de marches qui le menèrent dans un large couloir percé de deux grandes fenêtres du coté gauche tandis qu'à droite se trouvaient deux portes. Malgré la tentation, il se retint de les ouvrir et se dirigea vers la porte du fond avant de frapper deux coups.
     
    - Entre Rwan, l'invita Kellan à travers la porte.
     
    Le jeune homme obéit et se retrouva dans un bureau de dimensions confortables, dont le sol, les murs, et même le plafond étaient recouverts de bois. Rwan s'attendait à voir des tableaux ou d'autres objets de décoration aussi inutiles que coûteux, mais il n'en était rien. La pièce était d'une sobriété exemplaire ; de lourds rideaux en velours brun étaient tirés devant les trois fenêtres et Rwan remarqua une porte sur la droite. Le bureau, en bois lui aussi, était recouvert de quelques papiers, de dossiers, d'enveloppes, et derrière lui se trouvait Kellan Assanyas, profondément enfoncé dans un fauteuil, observant son visiteur de son regard perçant.
    Il ne portait pas son habituel chapeau, et Rwan découvrit pour la première fois ses cheveux bruns coupés courts, légèrement grisonnants. Sa barbe également avait été coupée récemment, et ces simples détails suffisaient à donner à Kellan l'allure qu'on était en droit d'attendre d'un homme de sa qualité, bien éloignée de celle qu'il arborait parfois dans les tavernes à la nuit tombée.
    Rwan avait élaboré tout un discours dans sa tête, mais maintenant qu'il se trouvait face à lui, l'indéniable prestance de son hôte l'intimidait davantage qu'il ne l'avait prévu. Aussi, il prit une grande inspiration et se lança :
     
    - Vous me reconnaissez n'est-ce pas ?
    - Oui, tu es le petit protégé d'un de mes anciens amis, le docteur Jonah Korrigan. Comment va-t-il ?
     
    Décontenancé, Rwan ne trouva rien à répondre.
     
    - Ah, tu pensais que je ne t'avais pas reconnu l'autre soir ? Tu sais, j'avais un doute au début pour tout t'avouer. Et puis dès que nous avons commencé la partie, le doute s'est envolé.
    - C'est-à-dire ?
    - Ta façon de jouer bien-sûr. J'ai reconnu sa griffe. Tu es son digne successeur, tu manques d'entraînement bien entendu, mais tu pourrais devenir très bon.
     
    Rwan tentait de réfléchir à toute allure, l'entrevue prenait une tournure à laquelle il ne s'était pas attendu, il commençait même à se demander si Kellan avait fait le lien avec Sven. Il eu bientôt la réponse à cette question.
     
    - C'est sans doute pour cela que Sven t'a choisi pour cette mission... spéciale ?
    - Ça aussi vous l'aviez deviné l'autre soir ?
     
    Assanyas laissa échapper un petit rire qui mit Rwan mal à l'aise.
     
    - Bizarrement non. J'avais imaginé tout autre chose figure-toi. Si tu savais la déception que j'ai ressentie en comprenant la triste vérité.
    - Et qu'aviez-vous imaginé ?
    - J'avais pensé à une revanche.
     
    Devant l'air perplexe de Rwan, il s'expliqua :
     
    - J'ai pensé que Jonah voulait m'infliger une humiliation. Pour se venger de l'humiliation qu'il a subie par ma faute il y a dix ans : sa femme, le duel...
    - Mesquinerie et bassesse, à votre image sans doute, mais très éloigné de l'homme qu'il est, siffla Rwan.
     
    Les mots étaient sortis tous seuls. Le dégout qu'il ressentait pour cet homme l'empêchait de réfléchir et de se comporter rationnellement. Pour la première fois il regrettait de ne pas avoir le don de Lizia pour se maîtriser en toutes circonstances. Sa spontanéité risquait de lui coûter cher.
    Pourtant Kellan ne releva pas l'insulte et répondit calmement.
     
    - Je pensais plutôt à l'œuvre d'un homme en colère.
    - Jonah n'est pas en colère. C'est juste un homme malheureux, grâce à vous. Vous avez ruiné sa vie.
     
    Kellan hocha la tête comme pour acquiescer, mais il garda le silence quelques instants avant de reprendre.
     
    - Pour tout te dire, je suis un peu confus Rwan. Je ne comprends pas très bien la raison de ta présence ici.
    - Et bien... en fait je suis venu vous demander un service.
     
    Devant l'air surpris de Kellan, Rwan ne put s'empêcher de reconnaître qu'il n'avait pas été très adroit de sa part de vilipender son interlocuteur juste avant de lui demander une faveur.
     
    - Un service ? voyez-vous ça, fit-il visiblement amusé. Vas-y je t'écoute.
    - Je voudrais deux accréditations pour entrer à Thanis.
     
    Le sourire de Kellan s'élargit, et ses épaules furent agitées de soubresauts. Puis n'y tenant plus, il éclata d'un rire qui s'entendit probablement dans tout le château. Vexé, Rwan n'eut cependant pas d'autre choix que d'attendre que son fou-rire se calme.
     
    - Ecoute mon petit, je ne sais pas si tu réalises bien ce qui se passe ici. Alors je vais t'expliquer la situation qui, à mon avis, te dépasse. Depuis quelques mois, je me suis lancé en guerre contre Sven, ce parasite qui survit en suçant le sang des honnêtes citoyens de cette cité. J'aime cette ville et cette région tu sais, cependant le pacifisme convaincu des gens d'ici finit par poser problème lorsque des individus sans scrupule comme Sven décident d'en profiter. Et si je ne mets pas un frein à ses activités, personne ne le fera. Or Makaroa vaut mieux que ça. J'aime trop cette cité pour laisser la gangrène s'y développer. Tu comprends mon point de vue ?
     
    Rwan acquiesça d'un signe de tête.
     
    - Bien. Seulement tu t'en doutes, il n'a pas apprécié que je lui mette des bâtons dans les roues. Alors il a décidé de m'adresser une sorte de message, pour me faire comprendre que je m'attaquais à plus fort que moi. Et il a monté ce petit stratagème pour venir s'introduire chez moi, en mon absence, quelle preuve de courage n'est-ce pas ? Surtout que tout le monde sait que je n'ai que très peu de gens à mon service. A vrai dire j'ignore ce qu'il avait prévu, sans doute me voler quelque chose – j'ai ma petite idée là-dessus mais ça n'a pas d'importance – pour me faire en quelques sortes une démonstration de ce qu'il était capable de faire. Seulement voilà le jardiner les a vus, il a voulu aller chercher de l'aide mais les hommes de Sven l'ont intercepté et l'ont frappé. Aujourd'hui il est entre la vie et la mort. Et Sven se vante partout d'avoir tué un de mes « gars » comme il dit, il se sert de cette histoire pour terroriser encore plus les gens, pour leur montrer que personne ne doit se mettre en travers de sa route.
     
    Kellan s'interrompit une seconde pour respirer. Puis il reprit, d'une voix chargée d'émotion :
     
    - Mon « gars », comme il dit, avait soixante-deux ans et je le considérais comme un membre de ma famille.
     
    Il planta ses yeux perçants dans ceux de Rwan qui s'en trouva déstabilisé et poursuivit d'une voix plus dure :
     
    - Je me doute que ce n'est pas ce que tu voulais, mais d'une manière ou d'une autre, tu es complice de tout ça. Et la seule raison qui m'empêche de t'écraser comme un vulgaire insecte sous ma botte, c'est l'amitié que j'ai eu jadis avec Jonah et la dette que j'ai toujours envers lui.
    - L'une des accréditations est pour lui, mentit Rwan. Comme vous venez vous-même de le dire, vous lui devez bien ça.
     
    Kellan le jaugea de haut en bas avant de siffler entre ses dents :
     
    - Si Jonah voulait quelque chose, il n'enverrait pas quelqu'un à sa place pour le demander. Tu as épuisé ma patience. Maintenant fiche-moi le camp.
     
    Comme Rwan ne bougeait pas, indécis sur la conduite à tenir, Kellan posa ses mains puissantes sur son bureau et se leva, fixant toujours Rwan d'un air mauvais. Celui-ci comprit alors qu'il ne pouvait rien faire de plus, il venait de jouer sa dernière carte et il avait perdu.
    A regret, il fit donc demi-tour, quitta le bureau et referma la porte derrière lui. Il descendit l'escalier et se dirigea vers la porte qu'il trouva fermée à clé. Il tourna le verrou et sortit.
     
    Il avait à peine fait quelques pas dans le jardin qu'il aperçut au loin la silhouette d'une personne qui marchait sur une allée parallèle à la sienne. Intrigué, il la suivit discrètement en se faufilant entre les buissons, jusqu'à une porte qui menait à une dépendance du château, dans laquelle il la vit entrer sans frapper. Rwan avança dans l'ombre en vérifiant de tous cotés que personne ne pouvait le voir, il rasa le mur jusqu'à la fenêtre la plus proche, se hissa sur la pointe des pieds et risqua un œil rapide à l'intérieur. Mais au lieu de se baisser aussitôt pour ne pas attirer l'attention, il resta immobile, pétrifié, incapable du moindre mouvement, de la moindre réaction, abasourdi par la scène qui se déroulait sous ses yeux.

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